Les 20 ans du Non-Lieu

Le Non-Lieu fête ses 20 ans

Découvrez ici le livre édité pour cet anniversaire

L'association Le Non-Lieu fait revivre l'usine Cavrois-Mahieu, une richesse du patrimoine industriel roubaisien. 


A 3 km de la fameuse Villa, l’usine Cavrois-Mahieu est le témoin de l’aventure industrielle de la famille Cavrois, mais aussi des milliers d’ouvrières, ouvriers et cadres divers qui y ont travaillé de 1887 à 2000.

 

Jean Cavrois-Mahieu, industriel du textile possédant une filature de coton à Roubaix, fonde en 1887 la « société Cavrois-Mahieu et fils » rue Montgolfier pour installer ses fils Jean et Auguste Cavrois-Lagache. C’est d’abord une filature de laine à laquelle s’ajoutent rapidement les activités de tissage, teinturerie et apprêts.

 

En 1919, après la guerre dans laquelle meurt son frère aîné Jean, Paul Cavrois-Vanoutryve, commanditaire de la Villa Cavrois (construite en 1932 par l’architecte Robert Mallet-Stevens), intègre l’entreprise fondée par son grand-père. Il y reste jusqu’en 1965, à son décès. L’industriel parvient à développer l’affaire familiale dont il prend la direction en 1935 et qui atteint son apogée dans les années 50. Il place chacun de ses quatre fils à la tête d’un secteur : Jean à la filature, Francis au tissage, Michel à la teinturerie, Paul fils aux apprêts. A cette époque, l’entreprise florissante compte environ 800 salariés, qui animent le quartier aux heures d’entrées et sorties par la rue Volta et la rue Montgolfier.

 

Entreprise de pointe jusqu’aux années 70 (avec notamment le lancement, en1968 et 1975, de fibres synthétiques pour la bonneterie), elle peine ensuite comme beaucoup d’autres à atteindre la compétitivité que requiert la mondialisation de la production textile. En 1996 la cinquième génération de Cavrois se dessaisit de l’affaire, reprise par deux cadres qui la maintiennent pendant quatre ans. L’activité textile cesse définitivement en 2000.

Ils se battent pour que les cheminées ne partent pas en fumée 

Un article de Pierre-Laurent Flamen avec des photos de Thierry Thorel paru dans La Voix du Nord du dimanche 20 novembre 2022

Olivier Muzellec a créé l’association le Non-Lieu en 2002 afin d’associer des activités artistiques et le patrimoine industriel.


Témoignages altiers du patrimoine industriel de notre région, les cheminées d’usine sont un peu devenues l’affaire de l’association le Non-Lieu à Roubaix. Avant tout pour sauvegarder la mémoire de ceux qui y ont travaillé. 


C’est l’histoire d’un professeur de sciences naturelles. Un gars venu de Châteauroux muté à Roubaix. À l’arrivée dans cette grande ville industrielle du Nord, c’est le choc. Olivier Muzellec prend de pleine face les difficultés sociales vécues par ses élèves et le paysage de briques rouges modelé par les usines textiles.


« C’était au début des années 2000, raconte l’ex-professeur, on assistait aux dernières grandes fermetures d’usines, la Lainière de Roubaix, Christory, la Tossée… Tout partait à vau-l’eau. » Parce qu’à l’époque, en matière d’urbanisme et d’architecture, on rase gratis.


Les autorités, dans leur ensemble, veulent tirer un trait sur le passé industriel de la région. Un passé qu’on oublie à grands coups de chapes. De plomb dans les conversations, de béton sur les friches. « Moi et quelques autres, on avait l’impression que tout allait partir, qu’il ne resterait plus rien. »

 

L’Usine Cavrois-Mahieu

 

À l’époque, Olivier Muzellec, qui taquine un peu le pinceau à ses heures perdues, s’est engagé dans le VRAC. Comprendre Voyage roubaisien dans l’art contemporain. Et le VRAC a besoin d’un local. Ce sera dans l’usine Cavrois-Mahieu à Roubaix. L’usine a fermé en 2000. « Ensuite, elle devait être rasée pour créer un parking. Elle n’avait rien d’exceptionnel par rapport aux autres du point de vue architectural, ni sur le plan historique. Si ce n’est la mémoire des gens qui y ont travaillé. »


Olivier et les quelques-uns qui, à l’époque, ne se résolvent pas à voir disparaître le patrimoine industriel de la région vont s’attaquer à protéger l’usine Cavrois et créer en 2002 l’association le Non-Lieu. « On s’est battu en montant des expositions, en faisant visiter les décideurs, en recueillant les paroles des personnes qui y avaient travaillé. Ces personnes nous racontaient à quel point elles aimaient l’usine ou encore qu’elles y avaient rencontré leur épouse. Et nous, on se demandait pourquoi cette histoire-là n’était pas écrite. »



« Rasez tout mais laissez-nous la cheminée »


Parce que l’histoire de l’industrie textile dans la région n’est pas mince.


Roubaix, pour ne citer que cette ville, a vu sa population multipliée par quinze en un siècle. De 8 000 habitants en 1800 à 125 000 âmes en 1900.


« Plus on creuse cette histoire, plus on la trouve remarquable du point de vue social, économique, humain. On ne comprend pas vraiment pourquoi l’industrie textile s’est installée dans la région. On cultivait un peu de lin mais pas de coton. On n’élevait pas spécialement des moutons. La seule explication, c’est la concentration de familles entrepreneuriales. »


Et puis survient Lille 2004, où la ville du Nord devient capitale européenne de la culture. Le Non-Lieu surfe sur la vague et organise une manifestation « Cheminées : totems roubaisiens ».


« Les gens nous disaient : rasez tout mais laissez-nous la cheminée ! » Alors, les membres de l’association font fumer dix cheminées d’usine et font retentir les sirènes spécifiques à chacune des dix usines.


« Il y a eu comme une sorte de prise de conscience de la dimension patrimoniale de l’héritage textile. La chape de plomb s’est un peu soulevée. On sentait que les gens avaient enfoui tout ça au fond d’eux-mêmes, que c’était une source de souffrance terrible. Il y avait une volonté de gommer l’histoire comme si elle était honteuse. »


Depuis, les mentalités des décideurs ont un peu changé. Le Non-Lieu s’apprête à fêter ses 20 ans. Et les cheminées sauvegardées de notre plat pays rivalisent de hauteur avec les beffrois et les églises.


Tout n’est pas parfait, bien entendu : « Maintenant, on en est à un stade où les promoteurs gardent la cheminée mais rasent tout le reste. » Mais l’idée de conserver ces beffrois du travail a au moins cheminé.

Plus on creuse cette histoire, plus on la trouve remarquable du point de vue social, économique, humain.

 

Liens :


L'usine Cavrois-Mahieu


Sur les traces des Cavrois


L'exposition " Bleu de travail "


Les cheminées d'usine, un patrimoine


La cheminée de l'usine Cavrois-Mahieu


Les Amis " Sur les pas des Cavrois "


Les clichés du parcours " Sur les pas des Cavrois "