La Villa Cavrois, ce paquebot architectural qui a failli sombrer

La Villa Cavrois, ce paquebot architectural qui a failli sombrer 


Un article de Sébastien Leroy paru dans La Voix du Nord le dimanche 8 juin 2025

 

Livrée aux pillards et aux antiquaires peu scrupuleux, la villa va connaître une descente aux enfers pendant les années 1990, avant de renaître. 


Photos archives Sébastien Courdji, Philippe Pauchet et Max Rosereau.

 

Patrimoine. 


Il y a dix ans, le joyau dessiné par Robert Mallet-Stevens sortait de l’ornière à Croix, près de Lille, après des années de déshérence, d’embrouilles administratives,  puis finalement de restauration. Depuis, il est devenu l’un des sites iconiques de la région. Retour sur l’histoire nordiste d’un mythe architectural qui a bien failli disparaître. 

    

Il faut marcher sur la terrasse pergola et se tourner vers le miroir d’eau du parc, perdre son regard dans les lignes et les courbes de briques jaunes du bâtiment, caresser des yeux le marbre de Carrare de la salle de bains parentale pour mesurer la perte inestimable qu’aurait constitué l’abandon définitif de la Villa Cavrois au tournant du XXIe siècle.


L’histoire commence, flamboyante, sur la table à dessin de Robert Mallet-Stevens. Nous sommes en 1929 et Mallet-Stevens est une figure de l’architecture moderniste et de l’Art déco. Lorsqu’il s’attelle à la commande passée par Paul Cavrois, l’industriel de la laine qui souhaite s’établir à distance de ses usines roubaisiennes, Mallet-Stevens jette quelques mots laconiques, bien dans son style : « Demeure pour une famille [les Cavrois] vivant en 1934 : air, lumière, travail, sports, hygiène, confort, économie. »

 

Chef-d’œuvre d’art total

 

Le château moderne est inauguré quatre ans plus tard. Le style tranche avec le néo-régionalisme prisé des élites locales de l’époque. L’air et la lumière sont là, à travers les immenses baies vitrées et les volumes gigantesques des pièces qui réservent aussi des dégagements plus intimes, tel le coin cheminée du salon. Surtout, le diable architectural se cache dans les détails : des appliques du vestibule aux horloges et aux téléphones dans la plupart des pièces, en passant par le bassin de natation à l’extérieur ou la cuisine où circule l’eau courante à travers trois robinets, dont un d’eau adoucie.


Le luxe est partout, raffiné sans être ostentatoire. Très vite, on parle de l’édifice comme d’un chef-d’œuvre d’art total.


Mais le chef-d’œuvre va connaître une vie tumultueuse. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands s’y installent et transforment les lieux en caserne. La famille Cavrois y revient après-guerre, modifie la distribution des pièces et leur affectation. Et au décès de Lucie Cavrois en 1986, l’ensemble est vendu à un propriétaire qui envisage un projet immobilier dans le parc.


Rien ne se passe. La villa tombe en décrépitude, pillée et squattée. Le mobilier a disparu, les sols ont été dérobés, les marbres se sont volatilisés… Si bien qu’en 1990, lors de son classement aux Monuments historiques, la somptueuse demeure n’est déjà plus qu’un squelette dévoré et ouvert aux quatre vents.


À la fin des années 1990, la communauté urbaine est proche de racheter les lieux au propriétaire, Gilles Willot. Mais la tentative capote. On tergiverse.

 

Colossal travail de restauration


L’acharnement d’une association de sauvegarde et l’émoi de l’ordre des architectes vont finir par pousser l’État à bouger. C’est finalement le 7 septembre 2001, quinze ans après la mort de Lucie Cavrois, que l’État finit par racheter le « paquebot ». Un colossal travail de restauration et d’acquisition de mobilier peut commencer en 2003, sous la férule du centre des Monuments nationaux et de Michel Goutal, l’architecte en chef des Monuments historiques.


Le chantier va faire travailler une quinzaine d’entreprises et 270 compagnons, pour une facture – salée – de 23 millions d’euros pour redonner son éclat au joyau. Jusqu’à son ouverture au public le 12 juin 2015. Et une deuxième vie, plus radieuse, de porte-étendard hautement « instagrammable » d’une région en pleine transformation, mis en lumière par un peu plus d’un million de visiteurs en dix ans.