ROBERT MALLET-STEVENS – ITINERAIRES
LE LIVRE
LE LIVRE
Introduction Jean-Pierre Blanc
Essais :
Essais :
Maurice Culot
Mallet-Stevens, reporter, critique d’art, décorateur
Alexandre Mare
L’architecture moderne est une fiction
Stéphane Boudin-Lestienne
L’aventure intérieur, à propos du mobilier de Mallet-Stevens
Correspondances et documents inédits incluant :
Un goût pour l’inattendu
correspondances de Charles de Noailles et Mallet-Stevens
1923-1927
Fragments : collaborations, amitiés et combats d’une vie d’architecte 1917-1940
Jan et Joël Martel, Marcel Temporal, Louis Metman, André
Lurçat, etc.
Articles et textes :
Robert Mallet-Stevens : Le cubisme au cinéma, 1923
Léon Déshairs : Une villa moderne à Hyères, 1928
Léon Moussinac : Robert Mallet-Stevens, 1931
Léon Déshairs : Une villa moderne à Hyères, 1928
Léon Moussinac : Robert Mallet-Stevens, 1931
Caractéristiques
204 pages. 19 x 21cm - format identique au premier RMS
publié par les AAM.
Directeur de la publication : Maurice Culot
Auteurs : Maurice Culot, architecte, fondateur et président
des Archives d’Architecture Moderne, Bruxelles /
Stéphane Boudin-Lestienne et Alexandre Mare, commissaires de
l’exposition permanente Charles et Marie-Laure de Noailles, une vie de mécènes,
respectivement docteur en histoire de l’art et critique.
Production :
AAM et Centre d’art villa Noailles, Hyères
Edition : AAM en partenariat avec le Centre d’art villa
Noailles
Conception graphique : Patrick De Muylder
Conception graphique : Patrick De Muylder
Il y a plus de 35 ans les Archives d’Architecture Moderne de
Bruxelles publiait le premier livre sur Robert Mallet-Stevens. Il s’agissait
alors d’une véritable résurrection, la figure de l’architecte pouvait enfin
prendre forme, le public prendre connaissance des données et documents essentiels pour juger
de son œuvre. A l’occasion de l’exposition qui se tiendra à la villa
Noailles à l’été 2016 et à Bruxelles ensuite, les Archives d’Architecture Moderne s’associent au
centre d’art hyérois pour mettre à jour une nouvelle salve de documents inédits,
complétant le portrait d’un personnage qui a depuis regagné sa place dans
l’historiographie de l’architecture du XXe siècle. Dans ce nouvel opus seront
republiés une sélection de textes rares écrits par Robert Mallet-Stevens et publiés
tout à la fois dans des revues belges et française, ainsi qu’un ensemble de
correspondances inédites.
C’est également l’occasion de repréciser un parcours qui, du
nord au sud, entre le graphique et le cinématographique, envisage le rôle de
l’architecte comme le chef d’orchestre d’un projet global : la vie moderne.
Les premiers textes de Robert Mallet-Stevens publiés
principalement dans des revues bruxelloises quand il rendait visite à ses oncle et
tante au palais Stoclet sont encore peu connus. Engagé dans les débats critiques en
Belgique comme en France, Robert Mallet-Stevens traite de sujets qui
deviendront récurrents dans l’œuvre et la pensée de l’architecte : les décors de
cinéma, le japon, la fourrure et les animaux dans l’architecture… Ces
allers-retours continuels entre les deux pays font pleinement partie de l’identité du jeune
architecte, point de départ d’une réflexion théorique qui vient nourrir une
pratique architecturale très personnelle.
Durant l’Entre-deux-guerres, Robert Mallet-Stevens s’attache
à développer la vie architecturale et artistique française qui reste alors d’un
terrible conservatisme. Très vite il prend de nombreuses responsabilités au sein de
différents groupements et associations. Si l’UAM est attachée à son nom et reste
comme le sommet de son action militante, ce n’est ni la première, ni la seule
vitrine d’un engagement qui apparaît indissociable de son œuvre. Mallet-Stevens
prend une part active à la vie architecturale et artistique de son époque; il y
réagit constamment et tente par différentes productions d’influer sur ses
directions. Réunissant un certain nombres de documents épistolaires, journalistiques,
photographiques, une partie de cette activité fait l’objet d’une chronique
fragmentaire.
La villa Noailles, véritable commencement de la carrière
constructive de l’architecte, constitue aussi un pallier important. Réalisée
au bénéfice de Charles et Marie-Laure de Noailles à partir de 1923, agrandi
jusqu’en 1931, ce bâtiment fait figure de laboratoire pour appliquer les théories ou
les essais formelles qui n’avaient jusque là qu’une existence cinématographique.
De simple fiction, l’architecture de Robert Mallet-Stevens devient réalité. Cet
ouvrage est l’occasion de faire une analyse complète de l’ensemble
de la correspondance avec Charles de Noailles (30 lettres) qui n’a jamais été
publiée intégralement. Les illustrations reprendront celles des textes publiés à
l’époque et des plans et photos de la villa d’Hyères. Des articles historiques
consacrés à la villa complètent cet ensemble.
Le cinéma est le miroir de l’architecture, l’architecture
moderne est une fiction. Mallet-Stevens se sert de son activité de décorateur de
cinéma non seulement pour tester de nouvelles configurations mais pour comprendre
un nouveau rapport à la troisième dimension. L’ouvrage se clôt avec une
série de réflexions sur le mobilier de l’architecte, une invitation à regarder
dans le détail un processus de création.
Rob Mallet-Stevens, reporter, critique d’art et décorateur
Entre 1906, année où, à 20 ans, il termine brillamment ses
études à l’Ecole Spéciale d’Architecture et 1923, où, à 37 ans, il reçoit la
commande de la villa des Noailles à Hyères, Mallet-Stevens, bien que n’ayant
encore presque rien construit, est extrêmement actif. Il dessine, publie une
cinquantaine d’articles de presse, assure la critique des trois grands salons d’art
qui se tiennent annuellement à Paris, réalise de nombreux travaux de
décoration intérieure, des boutiques pour des couturiers et modistes et participe
comme décorateur à une vingtaine de films, dont l’Inhumaine de Marcel
L’Herbier.
A travers ses premiers écrits dans des revues anglaises,
belges, françaises, hollandaises et allemandes la personnalité de l’architecte
apparaît en filigrane. Il découvre des talents - architectes, metteurs, en scène,
peintres, sculpteurs, artisans, - et ses choix sont révélateurs de ses propres
goûts pour la dissymétrie, l’architecture romantique nationale, les contrastes des
noirs et des blancs, l’ornementation intégrée à l’architecture, les couleurs
franches du Directoire, …
Les années de formation de Mallet-Stevens sont aussi
fortement redevables au climat familial. Ses grands-grands parents sont des
personnalités belges du monde de l’art, appréciées tant à Paris qu’à Londres et
Bruxelles, proches de Baudelaire, Maupassant, Whistler, Millet, Corot, Courbet. Sa
grand-mère qui prendra, entre autres comme nom de plume celui de Jeanne
Thilda, tient un salon, publie des livres, première femme à rédiger des
critiques des Salons d’art parisiens. Son père, Maurice Mallet, est un expert en
tableaux impressionnistes. Son frère Philippe et sa sœur Elisabeth faciliteront son
accès aux premières commandes privées. Frantz Jourdain, l’inventeur du Salon
d’Automne et l’architecte de la Samaritaine, qui l’a pris sous son aile,
le perçoit comme un architecte mi parisien, mi brabançon.
Sous l’influence de Suzanne Stevens, sa tante et de son mari
Adolphe Stoclet, qui habitent à Bruxelles dans une maison-palais édifiée dans
le style de la Sécession viennoise d’après les plans de Josef Hoffmann, le
jeune architecte, va faire preuve d’un rare cosmopolitisme qui tranche avec
l’ethnocentrisme de ses confrères parisiens. Dans le courant des années 1910 et
1911, différentes revues belges vont publier ses articles ainsi que ses
premiers projets de décoration intérieure fortement influencés par la Sécession
et le style Munichois.
Après la première guerre mondiale, Mallet-Stevens prend ses
distances avec cette esthétique nordique mais en conserve l’élégance et le
raffinement. Il garde cependant des contacts suivis avec la Belgique où il se lie
d’amitié avec Victor Bourgeois, grande figure du modernisme international, qui
publie régulièrement ses réalisations dans la revue bruxelloise d’avant-garde 7
Arts.
Maurice Culot, Architecte, président-fondateur des Archives d’architecture
moderne, Bruxelles
Texte extrait de Robert Mallet-Stevens, itinéraires éditions AAM, juin 2016.
Nouveaux intérieurs
Quelques fois Mallet-Stevens, à l’exact point de rupture
entre le très simple et le très complexe, produit des archétypes indémodables :
ses béquilles de portes, un des objets les plus fréquents de toute son œuvre, n’est quasiment pas soumis à variation. Chef d’œuvre de proportion et de
sobriété, une poignée tubulaire à angle droit se détache d’un rectangle d’acier
poli. C’est un objet juste, équilibré, fonctionnel et élégant. Autre récurrence, les
lanternes dont il invente d’innombrables variantes. Celles-ci résultent d’un
croisement entre la lanterne métallique européenne et celle de papier japonaise. Le
résultat, toujours peint en noir, accroché par des chaines, produit un effet
légèrement archaïque mais se lit aussi comme une épure graphique, une grille en volume,
un module de base, un cube d’ombres et de lumières en lévitation.
Mallet-Stevens en fait un élément clef de ses aménagements intérieurs jusqu’à la fin des
années 1920. Il peut les grouper en spectaculaires ensembles au-dessus du bureau de
M. Gaertner ou en détacher une pour ponctuer l’espace de la salle d’attente de
son agence.
Cette propension à l’emphase, à créer des objets d’une grande
pureté formelle mais présents, parfois lourdement, a souvent pour
conséquence une certaine solennité, une distance intellectuelle. C’est ce que
critique Jean Badovici dès 1924 qui reproche à l’architecte sa rigidité : « Tout est
net, précis, volontaire, on sent une pensée orgueilleuse de sa force et qui méprise
l’émotion ». Pour l’homme d’affaire et propriétaire des grands magasins
Aux Dames de France M. Gompel, il construit une véritable architecture
miniature : un bureau exceptionnel fait sur mesure, soulignant l’importance de son
commanditaire. Une série de lames verticales recoupent les plans horizontaux,
les volumes en porte-à-faux aux limites de la stabilité, expriment la rationalité
du travail. On trouve cette même rigueur dans la petite table de la chambre de
Monsieur et Madame Cavrois dont le subtil décalage du double plateau est un
chef d’oeuvre : envolée graphique de plans parallèles en bois de palmier. Au cours
des années 1930, comme les différentes peaux sur ses bâtiments, le panorama
des matériaux s’élargit. L’aménagement de la Villa Cavrois le montre bien
: les cornières de métal, techniques, machiniques, se marient aux riches effets
de matières des placages de pierre ou de différentes essences de bois veiné,
cérusé ou vernis. L’austérité du marbre répond à la fonctionnalité des murs
ripolinés de blanc pur, le constructivisme géométrique s’associe aux besoins de
confort. Dans certains cas l’architecte doit même se plier au goût du client et
accrocher des rideaux à fleurs comme dans la réhabilitation d’un intérieur, non
identifié à ce jour, publié en 1935. Par contre la table basse du salon supportée par de
grandes boules
de bois, les colonnes du hall ou le mobilier de la chambre
de jeune femme, notamment la table de chevet, trahissent l’écriture du
décorateur qui fait ici un retour en force. Cet intérieur symbolise non pas une
insistance particulière sur la modernité, ni un repli sur la tradition. Mallet-Stevens
use simplement de toute une gamme de formes développées au cours des années et qui
désormais s’accordent entre elles avec naturel. Ainsi la table de la
salle à manger purement cubiste s’associe à des chaises légèrement galbées, garnies
de lanières de cuir entrelacées, d’allure vaguement antique. Cette nonchalance
n’empêche pas que Mallet-Stevens aime que chaque chose soit assignée à une
place juste : les pieds de cette table coïncident avec le dessin abstrait du
tapis, les béquilles de porte brillent sur le bois cérusé. Du plus petit détail à
l’effet d’ensemble, ce qui compte, c’est de maîtriser l’espace.
Stéphane Boudin-Lesbienne, historien d’art et d’architecture, co-commissaire de
l’exposition permanente villa Noailles
Texte extrait de Robert Mallet-Stevens, itinéraires, éditions AAM, juin 2016.
L'architecture moderne est une fiction
Au début des années 1920, architecte sans architecture
depuis sa sortie d’école, puis empêché par la guerre, Mallet-Stevens réalise, comme il
le faisait avant le début des hostilités, quelques aménagements d’intérieurs
encore fortement influencés par la Sécession Viennoise. Il vient cependant de
débuter sa carrière de décorateur de cinéma. Parallèlement ses décorations de
boutiques, ses intérieurs voire des architectures composées pour les stands
du Salon d’Automne ou de l’Exposition des Art décoratifs de 1925 lui offre
l’occasion de s’imposer sur la scène parisienne. Le caractère populaire de ces
grandes manifestations permet ainsi à Mallet-Stevens d’exposer, bien que
temporairement, à la vue de tous, théories et pratiques architecturales.
En 1922,
Paul Poiret offre à l’architecte la possibilité de mettre en oeuvre une première
« vraie » réalisation mais la faillite du couturier l’empêche cependant de
terminer le chantier. Avant la réalisation du garage Alfa-Roméo rue Marbeuf à Paris
(1927), la villa Noailles (1925), puis la rue qui porte son nom (1927) qui lui
assureront, en quelques années, une réputation de constructeur, Robert Mallet-Stevens
n’est d’abord qu’un architecte de simulacre. Entre les pavillons pour les Expositions et les films (au
nombre de vingt), il s’agit de plus d’une trentaine de réalisations – la création
d’architecture fictionnelle constitue une activité majeure de son oeuvre. Comme André Garnet qui décore pendant 30 ans le Grand Palais, à Paris, pour les Salons de
l’Aviation ou de l’Automobile, Robert Mallet-Stevens est un architecte du
simulacre. Il ne s’agit pas tant d’une activité annexe, en attendant qu’on lui
confit des réalisations « en vraies », mais d’une activité revendiquée, pleinement
intégrée au reste de son œuvre. Une composante à part entière de sa pratique
: Le cinéma, porte drapeau de la modernité, devient un sujet propre à
séduire l’architecte. Décors, réflexions théoriques et pratiques, l’architecte est
sur tout les fronts, à la disposition de productions et de réalisateurs soucieux de
donner une touche « moderniste » à leurs réalisations. Quant au travail didactique engagé par Mallet-Stevens, à
travers publications et conférences, il lui permet d’expliciter sa logique
architecturale, tout comme les films auxquels il participe, deviennent, eux, un outil de
propagande. Le Décor moderne au cinema, publié sous la forme d’un porte-folio -
qui est la manière commune alors de diffuser l’architecture – peut apparaitre
de ce point de vue comme une sorte de manifeste. On comprendra alors que pour
Mallet-Stevens l’architecture de simulacre, et particulièrement le décor de
cinéma, est une matrice, un terrain d’expérimentation, des essais à échelle
1. Et au cours de ces échanges entre fictions et réalités le vocabulaire de
l’architecte s’enrichit, prend vie. S’essaie à la lumière. En somme, l’on pourrait ainsi
penser qu’une partie de l’architecture moderne est née par le cinéma ; que
l’architecture moderne est d’abord une fiction.
Alexandre Mare, critique d’art, co-commissaire de l’exposition permanente
villa Noailles
Texte extrait de Robert Mallet-Stevens, itinéraires éditions AAM, juin 2016.
Texte extrait de Robert Mallet-Stevens, itinéraires éditions AAM, juin 2016.