L'histoire des Daltons

Avec le décès d'Antoine Willot survenu le samedi 25 novembre 2023, c'est le dernier des Daltons qui vient de s'éteindre. Son frère Jean-Pierre était décédé un mois après la réouverture de la Villa Cavrois, qu'ils avaient malheureusement tant contribué à laisser se dégrader.

Le décès du dernier des Daltons


Article paru dans La Voix du Nord du lundi 27 novembre 2023 annonçant le décès d'Antoine Willot, le dernier des Dalton.


Croix : l’industriel Jean-Pierre Willot est décédé

Publié le 13 juillet 2015 par Gilles Marchal dans La Voix du Nord.

Originaire de Roubaix, Jean-Pierre Willot a bâti dans les années 1970 un empire industriel qui regroupait Dior, Conforama, Peaudouce ou encore Le Bon Marché. Il est décédé dimanche matin (le 12 juillet 2015) à 87 ans.

Parmi les grands noms industriels du Nord que sont Mulliez, Cousin, Toulemonde ou Motte, celui des Willot a rayonné pendant deux décennies avant de sombrer à la fois dans les difficultés et dans l’oubli.

À son apogée, dans les 1970, l’empire bâti par Jean-Pierre Willot et ses frères Bernard, Régis et Antoine employait 74 000 salariés dans 80 usines et 120 grandes surfaces installées en France, en Belgique, aux États-Unis et en Afrique. Son activité était basée sur les nombreuses filatures héritées du groupe Boussac, racheté en 1978, ainsi que sur les enseignes Dior, Le Bon Marché, La Belle Jardinière, Ted Lapidus ou Conforama. Les frères Willot ont aussi créé la marque de couches-culottes Peaudouce dont l’usine a longtemps été implantée à Linselles.


« Les Daltons »

La success-story des frères Willot a démarré en 1954. Cette année-là leur père leur avait légué sa fabrique de pansements, Le Crêpe Willot. En moins de 25 ans, les quatre frères sont parvenus à créer le numéro un du textile français, la SFFAW (société foncière et financière du groupe Agache-Willot). Parfois surnommés « les Daltons » en raison de leurs méthodes cavalières en matière d’acquisition et de gestion, les frères Willot ont eu plus d’une fois affaire à la justice. En 1981, le Nouvel Observateur écrivait : « Les Willot ne passent pas pour des enfants de chœur. Ils ont bâti leur empire et leur fortune en employant des méthodes dignes du Far West. » Plusieurs peines de prison et de fortes amendes ont été prononcées à leur encontre dans les années 1970 et 1980, avant d’être révisées en appel.

Remplacé par Bernard Arnault

Le début des années 1980 marque l’effondrement de l’empire Willot. Confronté aux difficultés structurelles de l’industrie textile et victime de choix stratégiques inadaptés, le groupe perd la confiance des banques avant d’être placé en redressement judiciaire. Le gouvernement socialiste fraîchement élu écarte les frères Willot et place à la tête de l’entreprise un jeune polytechnicien prometteur, lui aussi originaire de Roubaix. Bernard Arnault liquidera les activités déficitaires et fondera sur les ruines de l’empire des frères Willot le groupe qui deviendra le leader mondial du luxe : LVMH.

Jean-Pierre Willot a longtemps résidé à Croix – il a été propriétaire de la Villa Cavrois – avant de déménager à Villeneuve-d’Ascq. Il est décédé dimanche matin à la résidence Les Orchidées à Roubaix. Il avait à 87 ans. Ses funérailles auront lieu le vendredi 17 juillet à 11h en l’église du Sacré-Cœur à Villeneuve-d’Ascq.

" Comment sont tombés les Willot "

Ci-dessous l'article (archives) du Nouvel Observateur daté du 1er août 1981 

Face aux " Daltons " et à leurs méthodes dignes du Far West, le gouvernement pouvait-il éviter de jouer au shérif ?


Encadré par deux inspecteurs de la P.J., Jean-Pierre Willot quitte sa villa de la banlieue lilloise qui vient d'être fouillée de fond en comble par les douaniers. Une voiture de police le conduit à Paris où, ce même vendredi 24 juillet, le juge d'instruction Martinet a lancé un mandat d'amener contre lui. Inculpation : abus de biens sociaux. Vendredi noir pour ces quatre frères qui, en un quart de siècle, ont édifié un véritable empire industriel et commercial. Au prix de quelles acrobaties financières ? 

C'est ce que tentent à présent d'établir les magistrats chargés du dossier. Lourd dossier aux multiples ramifications, qui engage à la fois le sort de dizaines de milliers de salariés et toute une conception de la puissance industrielle. Car pour le nouveau gouvernement il est bien évident que l'affaire Willot est devenue un symbole. C'est peu de dire que les agissements des quatre industriels ne bénéficient plus, comme au temps de Pompidou puis de Giscard, de la protection de la puissance publique. La gauche au pouvoir, par la voix de Pierre Mauroy, proclame : « Les chefs d'entreprise dont les difficultés ont pour origine l'indélicatesse ou l'incompétence seront traités avec rigueur, y compris sur leurs biens personnels. » Un gestionnaire à poigne criblés de dettes, confrontés à une crise sans précédent dans le textile, honnis des syndicats mais aussi méprisés par les grands patrons du Nord qui les considèrent comme des parvenus, les « Dalton » ont dû capituler. Sans conditions. 

Certes, Jean-Pierre Willot a été laissé en liberté provisoire. Mais il fait l'objet d'un contrôle judiciaire. Son passeport est confisqué. Il lui est interdit d'exercer une fonction quelconque dans le groupe familial dont il était jusqu'alors le principal dirigeant. Pour éviter la prison, il a dû donner une caution : ses biens personnels, et ceux de ses frères, en garantie du prêt de cent millions de francs que le gouvernement accorde au groupe textile Boussac-Saint Frères, menacé de fermeture. Ainsi est mise à exécution la menace du ministre de l'Industrie, Pierre Dreyfus, qui a déclaré, quelques jours auparavant : « Il faut faire rendre gorge aux Willot. » Le processus qui a conduit Jean-Pierre Willot dans le bureau du juge d'instruction Martinet a commencé exactement un mois plus tôt. 


Bernard, Jean-Pierre, Antoine et Régis Willot, dits " les Daltons "

Le mercredi 24 juin, son frère Antoine, P.-D.G. de Boussac-Saint Frères, demande au tribunal de, commerce de Lille que son entreprise soit placée sous règlement judiciaire. Il n'a pas d'autre possibilité : depuis le lundi 22 juin, ses banquiers, le Crédit du Nord et le Crédit commercial de France, considérant que B.S.F. est devenu insolvable du fait de l'ampleur de son déficit (on parle de cent millions de francs par mois) et de l'accumulation de ses dettes, refusent d'honorer tous les chèques qui portent sa signature. On nomme donc un administrateur judiciaire. Le 26 juin, sous la pression des pouvoirs publics, les frères Willot sont contraints d'accepter qu'outre Boussac-Saint Frères, qui constitue la partie la plus menacée de leur empire, l'ensemble de celui-ci, dépendant de la maison mère, le holding Agache-Willot, soit placé sous le contrôle de l'administrateur provisoire, Me Albert Chassagnon, homme de loi et gestionnaire à poigne. A partir de ce 26 juin, tout le groupe Willot est directement mis en tutelle par la justice. 

Ce groupe comprend une multitude de sociétés spécialisées principalement dans le textile, la mode et la distribution en France, en Belgique, aux Etats-Unis et en Afrique. Il réalise un chiffre d'affaires annuel d'une douzaine de milliards de francs et compte au total près de quarante-cinq mille salariés. Il possède quatre-vingts usines et cent vingt grandes surfaces. Outre Boussac-Saint Frères, la plus gangrenée de leurs affaires, qui réalise un chiffre de quatre milliards de francs par an, avec vingt-cinq mille salariés, Agache- Willot contrôle notamment les magasins du Bon Marché et de la Belle Jardinière, en France, et les Galeries Anspach en Belgique, Conforama (chaîne de distribution d'ameublement), la chaîne américaine de supermarchés Korvette, Christian Dior, de nombreuses sociétés foncières ; des sociétés de transport, ainsi que des filiales diverses en Suisse, Grande-Bretagne, Grèce, R.F.A., Tunisie, à Madagascar, etc. 

Si, depuis le 26 juin, le gouvernement est parvenu à placer l'ensemble du groupe Willot sous son contrôle, par l'intermédiaire de l'administrateur judiciaire Albert Chassagnon, les quatre frères ont toujours la libre disposition de la fortune personnelle qu'ils ont édifiée grâce à l'exploitation de cet ensemble de sociétés disparates, enchevêtrées les unes dans les autres, dont certaines sont en ruine (Boussac-Saint Frères, Korvette) et d'autres fort prospères (Dior, Conforama, Bon Marché, etc.). 

L'épisode du ferry-boat 

Or le gouvernement a mis les frères Willot, et plus spécialement leur chef de file, Jean-Pierre, sous la discrète surveillance des douanes et de la police. L'enquête menée par ces services, qui sont en compétition et donc rivalisent de zèle, fait apparaître certaines présomptions inquiétantes. Selon des informations non confirmées, des transferts divers auraient lieu depuis les installations françaises du groupe vers des sociétés belges du même groupe, aux fins de dissimulation. C'est du moins ce qu'affirment certains syndicalistes. Surtout, Régis Willot a la malencontreuse idée de réserver un passage automobile sur le ferry-boat en direction de la Grande-Bretagne. S'agissant d'un homme qui voyage généralement en avion privé, cette réservation paraît suspecte. La douane intercepte la voiture et ses passagers au moment de l'embarquement. Régis Willot n'est pas dedans. Il y a seulement des hauts cadres dirigeants du groupe. On opère une fouille systématique. Sans rien trouver. On ne découvrira, non plus, aucun document compromettant au domicile de Jean-Pierre Willot lorsqu'on procédera à une perquisition, qu'il observe d'un œil goguenard. Ce sont ces informations non confirmées, selon lesquelles les Willot chercheraient à « planquer leur fric », qui poussent le gouvernement à faire inculper le cerveau du groupe, Jean-Pierre, le 24 juillet, et à mettre la fortune des « Dalton du textile » sous bonne garde. 

Les Willot ne passent pas pour des enfants de chœur. Ils ont bâti leur empire et leur fortune en employant des méthodes dignes du Far West. Ils ont d'ailleurs été condamnés à la prison avec sursis et à de fortes amendes par le tribunal correctionnel, en 1974, pour « abus de biens - sociaux ». Ils ont été l'objet, à maintes reprises, de sévères réprimandes de la Commission des Opérations de Bourse pour la comptabilité peu orthodoxe des bilans qu'ils présentaient à leurs actionnaires. La folle aventure Korvette Surtout, depuis 1954, année où ils ont hérité de la petite affaire textile familiale (fabrication de bandes Velpeau) développée par leur père, presque toutes les opérations auxquelles ils se sont livrés ont eu lieu dans des conditions financièrement contestables. 

Leur spécialité : le rachat pour une somme dérisoire de sociétés textiles au bord de la faillite, dont ils liquidaient ensuite les biens immobiliers pour leur plus grand profit. En pratiquant cette politique, les frères Willot ont réussi, en un quart de siècle, à devenir numéro un du textile en France. Leur dernier grand coup a été le rachat du groupe Boussac, en 1978, pour une bouchée de pain. Mais ils ont accumulé un capital de haine incroyable chez les patrons du Nord qu'ils avaient dépossédés et chez les salariés qu'ils avaient mis sur le pavé. D'autre part, leur image dans le monde de la bourse et de la banque est détestable. 

Car ils ont la fâcheuse habitude de piocher indistinctement dans la caisse de leurs multiples entreprises et de verser dans l'une ce qu'ils prennent dans l'autre. Ce procédé n'est certes pas unique dans le monde des affaires. Mais il est contraire au droit. Lorsqu'on l'utilise de cette façon systématique, comme les Willot l'ont fait, cela s'appelle l'« abus des biens sociaux ». C'est précisément pour avoir prélevé des fonds à la Belle Jardinière en vendant des immeubles qui lui appartenaient, pour boucher des trous de trésorerie dans d'autres entreprises du groupe, que Jean-Pierre Willot a été inculpé. Cette opération a été jugée d'autant plus répréhensible que les fonds prélevés à la Belle Jardinière étaient destinés, selon toute vraisemblance, à apaiser les banquiers américains, la Citibank, la Chase et la Manufacturers Hanover Trust auxquels les Willot doivent encore des sommes colossales. En effet, si les Willot sont au bout du rouleau, ce n'est pas seulement à cause de la crise catastrophique qui sévit dans le textile depuis de nombreux mois et qui a mené Boussac-Saint Frères à la ruine. Ce n'est pas seulement à cause de leur gestion désordonnée qui défie les règles habituelles. Ce n'est pas à cause de leur incapacité, puisqu'ils ont su renflouer des affaires moribondes comme Conforama ou le Bon Marché. Leur effondrement provient surtout de la folle aventure dans laquelle ils se sont lancés aux Etats-Unis en achetant la chaîne de super-marchés Korvette, dont les établissements lourdement déficitaires ont dû fermer leur portes les uns après les autres. Résultat : une ardoise de près de quatre cents millions de francs.

La bataille de la Villa Cavrois

Article publié le 28 mars 2002 par Michèle Leloup dans l’Express Actualité Culture Arts.

La Villa Cavrois est sauvée. Après quinze ans de conflits juridiques, l'œuvre de Robert Mallet-Stevens vient d'être rachetée par le ministère de la Culture : 1,15 millions d'euros. En 1986, le propriétaire en titre, Kennedy-Roussel, société immobilière dirigée par Jean-Pierre Willot, l'avait acquise pour deux fois moins cher, dans l'intention de la diviser en appartements et d'y construire, sur quatre hectares, une résidence haut de gamme. D'où le bras de fer avec l'Etat, opposé à ce projet, l'édifice étant classé. 

Aujourd'hui, le promoteur est satisfait de cette transaction: « Au regard du manque à gagner et des fonds immobilisés à perte, c'est une opération blanche », justifie Jean-Pierre Willot, héritier de l'empire Boussac et fils de l'un des frères Willot, les fameux « Dalton » des années 70. Sauf que la bâtisse est maintenant en ruine et qu'il faudra rajouter 7,6 millions d'euros pour la restaurer. « Ce compromis a permis à tout le monde de sortir la tête haute », argumente Richard Martineau, directeur régional des Affaires culturelles, médiateur de ce dossier empoisonné. 



Les nombreux défenseurs de la Villa Cavrois, parmi lesquels Norman Foster et Renzo Piano, peuvent se réjouir de cette issue, tant attendue par l'association de sauvegarde du site, animée depuis 1986 par Richard Klein. « Je salue l'acte symbolique, mais quel gâchis ! » lance cet architecte, grâce à qui l'ouvrage Une demeure 1934, de Mallet-Stevens, a été publié chez l'éditeur Jean- Michel Place.

Ce fac-similé du livre, édité, en 1934, par L'Architecture d'aujourd'hui, rend hommage à la Villa Cavrois, témoin de l'avant-garde des années 30. Ascenseur, piscine, confort électrique, téléphone intérieur, boiseries en palmier, en sycomore, et sols en marbre, le mécène Paul Cavrois, riche industriel du textile, n'avait pas lésiné en s'offrant ce « paquebot de luxe » arrimé à Croix, faubourg huppé de Lille.

Chantier de restauration

Soixante-dix ans plus tard, un hasard du calendrier vient d'accélérer son sauvetage. En effet, la métropole lilloise sera promue, en 2004, capitale européenne de la culture. L'occasion rêvée de révéler ce chef-d'œuvre en péril, d'abord inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, en 1987, puis classé d'office en 1990, sur saisine du Conseil d'Etat. « Le propriétaire refusant de faire des travaux, nous avons usé de tout l'arsenal administratif pour protéger ce site menacé », rappelle François Goven, sous-directeur des Monuments historiques. 

Le conflit aurait pu s'aplanir en 1991, lorsque la communauté urbaine régionale de Lille tente de la racheter, mais son président, Pierre Mauroy, bute sur le prix, fixé à 1,2 millions d'euros. Deux ans plus tard, le conseil général se dédit et, au fil du temps, la villa est pillée, puis saccagée. Un massacre évalué à 460 000 euros par un architecte des Bâtiments de France, facture que l'Etat offre alors de partager avec Jean-Pierre Willot, qui décline la proposition. L'affaire se gâte. 

En 1997, la société Kennedy-Roussel est mise en demeure d'effectuer les travaux d'urgence par la commission des Monuments historiques, et c'est le procès. Le ministère de la Culture, débouté, fait appel. En vain. Il ne reste plus qu'à négocier. Après deux ans de palabres, Willot a fini par garder le verger de la villa qui, découpé en parcelles, recevra cinq maisons de grand standing. A condition que les plans, soumis à un architecte des Bâtiments de France, respectent la cohérence du lieu, ce terrain se trouvant dans un rayon de 500 mètres autour d'un édifice classé. Un joli casse-tête en perspective.

Quant à la vocation de la Villa Cavrois - musée ou centre de réflexion sur l'architecture - rien n'est encore décidé, le chantier de restauration devant durer, au moins, cinq ans. En revanche, il est question d'aménager le rez-de-chaussée pour y accueillir une exposition, en 2004, si les premiers travaux sont bouclés.