Les luminaires de la Villa Cavrois


Les luminaires de la Villa Cavrois



« Demeure pour une famille nombreuse. Demeure pour une famille vivant en 1934 : air, lumière, travail, sport, économie. Tel était le programme »
Rob. Mallet Stevens, Une demeure 1932

Réalisation, étude / Design des luminaires et des horloges : Raphaël Armand - Assistant à la réalisation, chef d’atelier : Yannick Monchanin

Cette restauration a été conduite par :
- Chef de projet : Béatrice Grandsard
Maîtrise d’œuvre :
- Agence Michel Goutal, Architecte en chef des Monuments Historiques
Maitrise d’ouvrage :
- Centre des monuments nationaux.

La villa fait partie depuis 2012 d’un programme mondial de préservation des maisons emblématiques du XXe siècle : " Iconic Houses ".



Les appareils d’éclairages, les horloges ainsi que les baromètres ont été réalisés spécifiquement pour la Villa Cavrois. Pour aboutir au résultat définitif il aura fallu engager une étude approfondie de l’histoire de l’éclairage en France et en Europe dans les années 30, suivie d’une étape de recherche sur les techniques de réalisation et les matériaux utilisés durant la période réalisation de l’édifice. Ces études m’ont amené au « Bauhaus-archiv museum » de Berlin, à la « Bauhaus Foundation de Dessau », la fondation pour l’architecture de Bruxelles, les archives du musée des années 30 à Boulogne et bien d’autres lieux de mémoire tant publics que privés.

La réalisation de tels objets implique une analyse approfondie du contexte technique, stylistique de cette période de l’histoire de l’architecture. L’architecte Robert Mallet Stevens, fondateur de l’U.A.M (Union des Artistes Modernes) en 1929, était à l’époque de la construction de la villa, en contact avec de nombreux artisans, théoriciens et architectes de l’avant-garde des années 30. Chacun de ces « modernes » avait sa théorie sur l’éclairage rationnel : Francis Jourdain, André Lurçat, René Herbst, G. Guévrékian, Ch. Moreux, Walter Gropius, Théo Van Doesburg…

Des théoriciens de l’éclairage tels que Jean Dourgnon et André Salomon, également membres de l’U.A.M., ont collaboré étroitement avec Robert Mallet Stevens. Grâce à la lecture et à l’analyse des documents d’archives, j’ai constaté que la question de l’éclairage était d’une importance capitale pour la Villa Cavrois, en effet, chaque élément conçu par Mallet Stevens et son équipe (éclairage, horlogerie, mobilier, polychromie…) s’inscrit dans la démarche de l’U.A.M. :

« Être au plus près de leurs théories. Rendre conformes à l’esthétique et aux critères de l’esprit moderniste. »

Les éléments d’origine ayant disparu dans leur totalité, il m’a été indispensable de pousser l’étude de chaque élément en l’inscrivant dans son contexte historique. Lors des nombreuses visites sur le site, j’ai réalisé des relevés graphiques et photographiques afin de m’imprégner totalement de cette atmosphère. Une vision synthétique des espaces et de leurs proportions, ce qui sera déterminant pour fixer les dimensions définitives de chaque appareil à fabriquer.

Pour comprendre les besoins en éclairage, il est important de vivre dans cette villa à différents moments de la journée. Le climat est aussi un facteur important. Les luminaires ainsi que les peintures ont été choisis en fonction de ces éléments extérieurs ce qui fait que ces trois paramètres sont indissociables. André Salomon, chef éclairagiste de Robert Mallet Stevens, maîtrisait parfaitement cette question.

Les relevés sur place m’ont donné une vision synthétique des espaces et de leurs proportions, ce qui a été pour fixer les dimensions définitives de chaque appareil à fabriquer.

La fabrication des maquettes m’a permit de définir les bonnes proportions à partir des clichés réalisés pour la plupart en 1932.

Le plafonnier « Tigralite », chambre du jeune-homme 

1. Une des pièces « phare » des luminaires du bâtiment mis au point par Jean Dourgnon et André Salomon vers 1929.

The Tigralite : A © The lighting fixture : The TIGRALITE - Réalisation 2015 R. Armand -Y. Monchanin - B. Grandsard pour CMN Villa Cavrois




Particularités : Rayons rasants. Equipé en interne d’une lentille à échelon de type torique, dérivée de la lentille Fresnel. Un tube cylindrique en verre extra-blanc vient refermer l’ensemble. Les rayons étant repris par 6 anneaux de verres « extra blanc » de 10mm d’épaisseur pour un diamètre de 50 cm. La totalité des éléments de verrerie sont soutenue par une structure en laiton chromé afin de permettre une meilleure diffusion de la lumière. Au centre, une ampoule. Le tout étant placé dans une coupole en staff. Le plafond, peint en noir laqué reflète le mobilier de cette pièce, dessinée dans un esprit De Stilj.

La réalisation des Horloges et baromètres de la Villa

he 15 clocks’ ticking simultaneously pulse : Villa Cavrois © Réalisation 2015 R. Armand - Y. Monchanin - B. Grandsard pour CMN Villa Cavrois



Cette tâche étant extrêmement délicate et exigeant une grande précision dans le positionnement et l’assemblage des chiffres. Pour ce travail proche de la bijouterie, j’ai fait appel à Yannick Monchanin, artisan bijoutier à Lyon, qui a su maitriser cette tâche demandant une extrême patience et délicatesse. Les 15 horloges de la Villa battent sur le même cœur. Deux types de cadrans y sont représentés pour les chambres, salle de bain, salle à manger. Les douze chiffres romains stylisés sont réalisés avec deux symboles : le bâton et le triangle, ce qui en fait un dessin d’une grande originalité. Elles ont aussi un rôle éducatif. Les horloges à chiffre romain, sont situées dans les salles pour la jeunesse mais aussi dans les couloirs de passage pour le personnel qui a besoin de lire l’heure facilement. Les horloges à bouton sont situées côté parents. Une autre particularité de ces horloges, les mécanismes sont emboîtés dans une niche du mur, le cadran est donc à fleur du mur, et pour la plupart des pièces, peint au pinceau, au même ton que les murs.



Rob-Mallet Stevens avait depuis longtemps cette volonté de rythmer ses bâtiments en utilisant le procédé de synchronisation des horloges (Villa Noailles, son atelier d’architecture à Paris). L’aspect visuel restait sur un schéma à peu près similaire : cadran plat, chiffres ou bouton et aiguilles finissant en pointe.

Horloge de cuisine

© La villa Cavrois et son horloge de cuisine © Réalisation 2015 R. Armand




J’ai placé dans l’office et la cuisine, deux exceptionnelles horloges, de fabrication allemande par la firme AEG. Sur un dessin de l’architecte Peter Behrens, maître de Marcel Breuer (professeur à l’école du Bauhaus) au début du XXe siècle, deux modèles « AEG synchron klok » étaient installés à la même place. Ces deux pièces proviennent d’une collection particulière à Berlin, dont j’ai fait l’acquisition spécialement pour la villa. Il est rarissime de retrouver deux exemplaires identiques en tout point. En état de dégradation avancée, elles ont été restaurées et reconditionnées afin de pouvoir fonctionner comme à leur premier jour.





Les globes

Les 86 globes installés à ce jour à la Villa Cavrois ont été réalisés dans le but de se rapprocher au mieux de ceux utilisés en 1932.



Il est important de mettre en avant que ce type de globe étaient en 1932 un signe de modernité. A l’époque de la réalisation de la Villa Cavrois, chaque élément, monture, verre opalin, était réalisé de manière artisanale, à l’unité. Ceux que j’ai fournis en phases 1, 2, et 3 respectent totalement cet esprit. Les montures sont composées de pièces de laiton découpées, cintrées, brasées, polies puis chromées, afin de réfléchir au mieux les rayons lumineux, directs et indirects. Les fabrications d’après-guerre ont rapidement standardisé ces luminaires : emboutissage en aluminium des montures, simplification des préparation de la pâte de verre...



Voici quelques notes explicatives :
Appareils d’éclairages de type globes opalins mis en place à la Villa Cavrois en 1932


Eclairage et luminaires de la villa Cavrois ouverture Juin 2015 Robert Mallet Stevens

Principales pièces d’utilisation : Le vestibule, la salle à manger des enfants, la cuisine, l’office, la cuisine chambre du jeune-homme 1, l’escalier, chambre de jeune fille, chambre de la gouvernante, le sous-sol.

Appareils pour éclairage semi-direct : Diffuseurs clos en verre opalin ou globe diffusant sphérique en verre opalisé.

Ces appareils enveloppent complètement les lampes et sont surtout destinés à répartir sur une plus grande surface le flux lumineux émis, de façon à diminuer la brillance du foyer lumineux.




Fabrication des verres opalins :

On prépare les verres opalins en incorporant à la pâte de verre différentes matières, telle que des fluorures, chlorures, sulfates, oxydes de zinc ou d’étain. En 1930, on employait surtout la cryolite, qui contient à la fois de l’alumine et de la fluorine. A la température de 1 300 à 1 350° centigrade, la solution est liquide et claire. Lorsque la température s’abaisse, l’ensemble devient laiteux et il se forme une infinité de très petites sphères, qui sont du phosphate de calcium.

De fabrication artisanale, le verre est soufflé à la canne dans un moule acier, de forme sphérique.



Diamètres des globes utilisés pour la Villa Cavrois : 20, 25, 35 et 40 cm. Chaque diamètre à son propre moule.

« Si l’on regarde une source lumineuse de dimension suffisamment petite à travers une lame de verre opalin, on voit une image rougeâtre de très faible brillance, mais très nette, de la source lumineuse. Plus la lame de verre opalin est épaisse, moins on aperçoit la source lumineuse : pour une épaisseur donnée, cette image disparaît complétement.




Appliques de salle de bain

Schéma original d’un type d’applique de salle de bain, système linolite.



Collection personnelle RAL

Les verres opalins de faible épaisseur ou de faible densité, qui donnent une image nette de la source lumineuse et diffusent en même temps la lumière assez régulièrement, ont une indicatrice de diffusion formée d’une partie à peu près circulaire et d’une pointe assez accusée. Les verres opales d’épaisseur ou de densité plus forte ont une indicatrice dont la forme se rapproche sensiblement d’un cercle. « -Société pour le Perfectionnement de l’Éclairage - Paris 1931.




Applique salle de Bain, Villa Cavrois © Réalisation 2015 R. Armand - Y. Monchanin - B. Grandsard pour CMN Villa Cavrois



Restauration des intérieurs de la Villa Cavrois - Création de luminaires, horlogerie

Travaux en 3 Phases.
Classée en 1990, l’état en fait l’acquisition en 2001. Chantier commencé en 2003 après les études préalables (12 ans de travaux).

Démarrage des travaux : septembre 2012
Fin des travaux : mai 2015

Collaborateur artisan et chef d’atelier
Serrurerie de précision, usinage, orfèvrerie
Yannick Monchanin


Ont participé à ces travaux :

Chromage
Brun (Villeurbanne)

Polissage
Saccucci Serge

Verriers
Favetto (Villeurbanne)
Verre équipement (Saint Germain au mont d’or)

Matières composites :
Jyplast (Bourg-en-Bresse)

Mécanisme d’horlogerie
Mamias

Mécanisme des baromètres
Naudet

Équipement led
DGA (Italie)

Maitre d’Ouvrage :
Centre des Monuments Nationaux représenté par Danièle DEAL / Ilham SLIMANI


Raphaël Armand archéologue de la lumière



Spécialiste en luminaires Art-Déco et modernistes des années 30, Raphaël Armand vient de terminer l’entière restauration des lustres et appliques de la villa Cavrois, œuvre de l’architecte Robert Mallet-Stevens à Croix près de Lille.

Construite en 1932 sur 2500 m2 habitables, la villa Cavrois, véritable chef-d’œuvre du modernisme, est un modèle du genre. L’histoire ne l’a malheureusement pas épargné. Occupée par l’état-major allemand pendant la dernière guerre puis saccagée à la libération avant d’être réhabilitée puis finalement laissée à l’abandon, elle a été rachetée par l’état français en 1990 et classée Monument National dès 2001. Restait à concevoir sa restauration, véritable travail de fond tant les pillages et saccages successifs avaient laissé les murs de briques à vif. Sous la direction de Béatrice Grandsard de l’agence Goutal, Maître d’œuvre, ont débuté en 2003 des travaux faisant appel à quasi tous les corps de métiers pour un budget final de 23 millions d’euros. Répondant à l’appel d’offres, le lyonnais Raphaël Armand a été choisi pour restaurer à l’identique l’intégralité des luminaires de la maison, les éléments d’origine ayant disparu dans leur totalité. Pas moins de 3 années de recherches autant en France qu’en Belgique, Allemagne et même Etats-Unis ont été nécessaires à cet archéologue du XXe siècle, tel qu’on le définit aujourd’hui, pour reconstituer à partir de documents anciens l’entier éclairage mais également les horloges et baromètres. Véritable laboratoire d’architecture et de lumière, la villa Cavrois avait en son temps fait appel à l’ingénieur éclairagiste André Salomon dont le talent à conjuger le fonctionnel à la diffusion de la lumière comme aux couleurs des murs peints s’est totalement exprimé aux côtés de R. Mallet-Stevens. Le résultat est stupéfiant, tout l’éclairage a été reconstitué à l’identique mais cette fois aux normes du XXIe siècle avec l’aide de Yannick Monchanin et la visite nous replonge totalement en 1932. Inaugurée officellement le 13 juin prochain, la Villa Cavrois sera ouverte pour des visites au public
dès le lendemain.

Philippe Jayet – Tout Lyon N°5155