Chef-d'œuvre moderniste des années trente de l'architecte
Rober Mallet-Stevens, la Villa Cavrois, à Croix, ouvre pour la première fois au
public le 13 juin, après une douzaine d'années de restauration.
Visite guidée.
Croix (Nord), quartier de Beaumont, la banlieue chic de
Roubaix. En déambulant sur l'avenue John-Fitzgerald-Kennedy, on a du mal à
s'imaginer qu'un tel vaisseau est ancré là, tant les frondaisons le dissimulent
à souhait. N'était-ce ce petit cube moderniste, l'ancienne maison du gardien,
planté sur la rue, au n° 60, tel le signal d'une découverte plus grandiose à
venir. En effet, une fois le portail franchi, se déploie de tout son long cette
fameuse villa édifiée par l'architecte Robert Mallet-Stevens, entre 1929 et
1932, pour l'industriel du textile Paul Cavrois, une immense demeure en briques
ocres de quelque… 2.700 mètres carrés. La restauration, en plusieurs étapes, a duré
pas moins de douze ans. Coût des travaux - bâtiment et parc - : 23 millions
d'euros.
Métaphore maritime
Dès l'arrivée, l'ambiance est majestueuse : l'allée, de
forme circulaire qui mène à l'entrée de la maison, permettait jadis aux
véhicules d'y déposer les visiteurs puis de continuer sur leur lancée pour
ressortir. A l'intérieur dudit « cercle », une pelouse judicieusement décaissée
permettait aux enfants de jouer au croquet en diminuant les risques d'égarer
les boules. Campée au nord, la façade d'entrée est plutôt introvertie,
contrairement à son alter ego sur le jardin orientée sud, constituée de volumes
davantage découpés et agrémentée de multiples balcons et autres terrasses. Les
lignes illustrent à l'envi les préceptes du Mouvement moderne, alors en vigueur
à la fin des années vingt, mais empruntent aussi amplement au style « paquebot
». Ainsi les garde-corps sont-ils comme des bastingages et les diverses
terrasses tels des ponts de bateau. Une haute tourelle donne, elle, presque
l'effet d'une hune, poste idéal pour une vigie. Métaphore maritime encore avec
cette ex-piscine devenue bassin d'agrément pour cause de normes de sécurité, et
ce miroir d'eau qui file jusqu'à l'extrémité du jardin à la française, dont le
gazon est rasé de près et les buis taillés au cordeau. Depuis ce point de vue
incontournable, la Villa Cavrois semble, en tout cas, remise à flot, elle qui
n'était que ruine à la fin des années quatre-vingt-dix, avant son acquisition
par l'Etat, en 2001, puis, deux ans plus tard, le début d'une laborieuse
restauration. D'ici, astuce d'architecte, la demeure se montre incroyablement
allongée. Pour faire paraître son édifice davantage horizontal, Mallet-Stevens
avait, en effet, exigé que les joints soient d'une couleur identique à celle
des briques, ocre. Les maçons-restaurateurs en ont, paraît-il, repeints quelque
200 kilomètres.
La rigueur est de même à l'intérieur du bâtiment, dans
lequel le parti pris fut de refaire l'ensemble à l'identique. Tel un décor de
film, domaine dans lequel l'architecte excellait - il a notamment travaillé
avec le réalisateur Marcel L'Herbier pour « L'Inhumaine » et « Le Vertige » -,
Mallet-Stevens met littéralement en scène la vie quotidienne et mondaine d'une
famille bourgeoise, le couple Cavrois et ses sept enfants. Aussi bien au
rez-de-chaussée qu'à l'étage, les pièces se développent ainsi comme « une suite
de séquences qui visent à parvenir à l'éblouissement devant le luxe des
intérieurs », dixit Paul-Hervé Parsy, administrateur de la Villa Cavrois depuis
2013. A commencer par le grand salon, espace de réception sur double niveau,
doté d'un étonnant coin feu en marbre jaune de Sienne et d'un parquet mosaïque
en Iroko du Congo. Tous les « meubles immeubles » - autrement dit, ceux qui
étaient fixés aux murs - ont été refaits selon des plans et des photographies
d'époque. Quant au mobilier, celui pillé lorsque la demeure était à l'abandon
ou vendu aux enchères après le décès de Mme Cavrois, en 1985, seules quelques
pièces ont, pour l'heure, été retrouvées et acquises par le Centre des
monuments nationaux. D'ailleurs, pour pallier les manques inéluctables, sont
présentés, dans différentes pièces de la maison, des meubles qui ne sont pas
d'origine mais « des ensembles mobiliers cohérents afin d'évoquer l'esprit
d'une habitation au confort moderne ». Ce qui pose, bien évidemment, la
question de cette chaleureuse patine chère à tout patrimoine « dans son jus » :
jusqu'où une restauration peut-elle conserver l'âme d'un lieu ? Chaque visiteur
se fera sa propre opinion.
Christian Simenc