Ce nouvel article au milieu du déferlement médiatique pour annoncer l'ouverture de la Villa Cavrois après tant d'années d'errements et d'abandon, nous permet grâce à ce jeu de mot d'insister sur la localisation exacte de cette construction de Robert Mallet-Stevens. Certes vue de Paris, la ville de Croix est lointaine. Mais nul doute qu'à l'avenir Croix deviendra célèbre grâce entr'autre à cette magnifique demeure avant-gardiste.
La plupart des médias évoquent la région du Nord, Lille et sa métropole, quelquefois Roubaix ... mais jamais Croix, parions qu'à l'avenir les journalistes seront aussi à l'aise avec la géographie que celui de La Croix.
REPORTAGE Jeudi 11 juin 2015
Après douze années de travaux, la villa Cavrois, manifeste
de l’architecture moderniste de Robert Mallet-Stevens, ouvre enfin ses portes au public
après-demain
CROIX (Nord)
De notre envoyé spécial Stéphane Dreyfus
Ce n’est pas une maison mais un paquebot à l’ancre. Quand
le visiteur arrive aux abords de la villa Cavrois, il perçoit à peine sa
silhouette, escamotée par les platanes de l’avenue. Mais une fois au pied de
l’édifice, l’efet est saisissant : la façade, longue de 60 mètres, est
parée de briques jaune safran dont l’horizontalité est soulignée par des
joints noirs et un fin encadrement métallique. « L’entrée se faisait de biais,
par une allée de graviers longeant la villa, ce qui accentuait l’impression de
glisser le long d’un navire », explique Paul-Hervé Parsy, administrateur de
l’édifice qui ouvre ses portes au public ce week-end après douze années de
restauration par le Centre des monuments nationaux (CMN).
Originaire de Lille, l’ancien conservateur en chef des
collections contemporaines du Centre Georges-Pompidou est pour ainsi dire du
quartier : sa grand-mère résidait à Croix. C’est là, dans « le Beverly
Hills de la banlieue de Roubaix », l’une des plus grandes concentrations d’ISF
de France, que se trouve la fameuse villa conçue par l’architecte français
Robert Mallet-Stevens. Une merveille architecturale que Paul-Hervé Parsy a pu
visiter du temps où elle était encore habitée par la famille Cavrois, et
avant qu’elle ne traverse quelques tempêtes...
Car le navire a connu de nombreuses vicissitudes et
avaries depuis son édification, sur un terrain de cinq hectares du secteur de Beaumont. Comme Paul Cavrois, industriel du textile, de riches propriétaires ont aussi projeté d’y faire construire de luxueuses habitations, mais dans un
style plus conforme au goût de l’époque, du type régionaliste
normand à colombages... Dès son inauguration le 5 juillet 1932, pour le
mariage de l’une de des filles de la famille, la Villa Cavrois est en butte à
l’hostilité du voisinage qui raille l’ostentation architecturale de la «
folie Cavrois », également affublée de l’élégant surnom de « péril jaune ».
« Certains enfants Cavrois ont mal vécu la chose, car ils étaient moqués par
leurs camarades », confie Paul-Hervé Parsy.
Il faut dire que le bâtiment est hors norme : 3 800 m2 de
plancher, dont 830 m2 de terrasses, un bassin de natation de 27 mètres de long
et un « miroir d’eau » de 72 mètres... Avec ses volumes simples, ses grandes
baies vitrées et son toit terrasse, c’est un manifeste de l’architecture moderniste. Mais, à la différence de la villa Savoye, conçue au même moment
par Le Corbusier, autre maître de l’avant- garde architecturale, la
réalisation de Mallet-Stevens présente une organisation spatiale typique
de la demeure de campagne : sur le même axe, le vestibule ouvre sur un vaste
salon qui ofre une vue plongeante sur le miroir d’eau. « Mais attention !
s’exclame Paul-Hervé Parsy. Le Corbusier n’a pas la même attention aux
détails, notamment au mobilier. Mallet-Stevens avait même demandé à son
client la taille de ses chemises pour déterminer la profondeur des tiroirs !
»
L’architecte a conçu le projet de A à Z : de la cuisine au
boudoir, des fauteuils aux poignées de porte, de la couleur des murs à
l’aménagement du jardin. « Une œuvre d’art totale » dont la modernité se joue
aussi dans le confort : chaufage central, éclairage indirect, ascenseur,
haut-parleurs dans toutes les pièces. Le décor ressemble parfois à ceux
que Mallet-Stevens imagine pour le cinéma, comme cette élégante « boîte à
lumière » qui encadre la porte d’entrée du vestibule. Le mobilier et
l’architecture doivent, comme un décor de cinéma, mettre en scène la vie
quotidienne. Dans le bureau de Paul Cavrois, les meubles en poirier naturel
sont traités comme ceux de la cabine d’un capitaine d’industrie.
Rien ne prédestinait le notable roubaisien à s’ofrir une
maison d’une telle audace. Il est d’ailleurs en afaire avec un architecte
local, Jacques Gréber, quand il rencontre Robert Mallet-Stevens. En 1925,
l’industriel se rend à l’Exposition internationale des arts décoratifs et
industriels modernes, à Paris, où il expose ses produits. Comme beaucoup de
visiteurs, il reste interdit devant les arbres en ciment armé des frères
Martel dans le jardin cubiste aménagé par l’architecte, non loin du pavillon
des tissus et étofes de Roubaix-Tourcoing.
« Cavrois est en fait assez austère, tout sauf
”bling-bling”, alors que Mallet-Stevens est un peu dandy. Mais, entre les deux hommes,un jeu de séduction se met en place, raconte Paul-Hervé
Parsy. L’industriel n’est pas collectionneur d’art, mais il a le même goût
que l’architecte pour les beaux matériaux. Il n’est pas conformiste et n’a pas
d’idée préconçue sur ce qu’il veut comme maison, si ce n’est qu’elle doit
incarner un luxe sobre. Mallet-Stevens lui parle de la maison qu’il a
construite pour le vicomte de Noailles, à Hyères. Et la visite de la rue
Mallet-Stevens, à Paris, achève de le convaincre. »
La villa va connaître par la suite de multiples avanies.
Sous l’Occupation, la Wehrmacht l’investit sans la détériorer, mais
recouvre le miroir d’eau pour en faire une piste d’atterrissage. En 1985, à la
mort de l’épouse de Paul Cavrois, Lucie, les deux familles qui y vivaient avec
elle quittent la maison familiale, vendue à Jean-Pierre Willot. L’homme
d’affaires souhaite la détruire pour lotir le terrain, mais se heurte à une
double levée de boucliers : la mobilisation du voisinage, inquiet de voir
édifier sous son nez des habitats collectifs, et celle de l’association de
sauvegarde de la villa, animée par des admirateurs de Mallet-Stevens,
aboutissent au classement de l’édifice en 1990. Le propriétaire laisse
alors la villa péricliter. Elle est pillée, vandalisée, squattée... « Les
marbres ont été démontés par Willot en 1994 », accuse, encore indigné,
Paul-Hervé Parsy, à qui la famille Cavrois avait demandé en 1983 d’en
obtenir le classement. En vain.
Lorsque l’État la rachète en 2001 pour 1,15 million
d’euros, la maison est dans un état pitoyable.
« Comme les descentes d’eau
avaient été ôtées, la pluie coulait à flots dans les pièces, raconte
Paul-Hervé Parsy. Des arbres poussaient dans la maison. Sur le palier du
premier étage, l’un d’eux faisait dix centimètres de diamètre. » Le CMN a
d’ailleurs décidé de garder une pièce dans l’état trouvé lors du début
des travaux pour montrer le travail accompli. Et il est colossal.
Par voie testamentaire, Mallet-Stevens avait demandé que
ses archives soient détruites. Tout le mobilier n’a pas été retrouvé et le
Centre des monuments nationaux a préféré des pièces vides plutôt que
décorées de meubles qui n’étaient pas d’origine. Le mobilier encastré a
été racheté en salles de vente ou reconstitué. Les restaurateurs ont dû
employer des techniques d’archéologues, par exemple, pour retrouver les
couleurs des murs ! Une « matériauthèque » a également été installée au
sous-sol pour exposer toutes les essences de bois et autres types de pierres
utilisés dont l’inventaire est une promesse d’exotisme : iroko, zebrano,
zingana, marbres blanc, vert de Suède et jaune de Sienne...
Une invitation aux
voyages sur d’autres mers pour ce paquebot sédentaire.
(1) Auteur de La Villa Cavrois, Patrimoine, 64 p., 7 €
(parution en juillet).
Villa Cavrois, 60 avenue John-Fitzgerald-Kennedy, Croix
(Nord). RENS. : 03.20.73.47.12 et villa-cavrois.fr
Sur La-Croix.com : Un diaporama sur la villa et une vidéo sur
la restauration