La renaissance de la Villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens
Quand l’État veut, l’État peut. C’est, sans doute, la morale
qu’il faut tirer de la restauration d’une exceptionnelle qualité que vient de
mener le Centre des Monuments Nationaux sur la Villa Cavrois (ill. 1), le
chef-d’œuvre de Mallet-Stevens. Cette morale se double des leçons qu’il
convient de tirer tant elles résonnent avec l’actualité et concernent des
questions auxquelles le patrimoine de notre pays doit faire face.
Mais avant cela, saluons comme il se doit le travail mené
sur ce monument. On sait les conditions désastreuses dans lesquelles il se
trouvait. Coquille vide, privée de son mobilier, de ses décors de marbre,
presque entièrement désossée, la villa faisait peine à voir et était proche de
la ruine totale (ill. 2)
La restauration, menée par l’architecte en chef des monuments historiques Michel Goutal avec pour maître d’ouvrage la DRAC entre 2004 et 2008, puis le Centre des Monuments Nationaux à qui le monument a été affecté, lui a rendu sa splendeur passée, pour un coût conséquent de 23 millions d’euros, entièrement pris en charge par l’établissement public et l’État. Elle ouvrira ses portes, pour la première fois (à l’exception d’une ouverture partielle pour les journées du patrimoine 2013) à partir du 13 juin 2015. Les visiteurs pourront admirer à la fois l’extérieur du monument et sa silhouette très reconnaissable, et les nombreuses pièces intérieures, toutes restaurées dans leur état original à l’exception d’une seule, laissée comme un témoin du martyre subi.
La restauration, menée par l’architecte en chef des monuments historiques Michel Goutal avec pour maître d’ouvrage la DRAC entre 2004 et 2008, puis le Centre des Monuments Nationaux à qui le monument a été affecté, lui a rendu sa splendeur passée, pour un coût conséquent de 23 millions d’euros, entièrement pris en charge par l’établissement public et l’État. Elle ouvrira ses portes, pour la première fois (à l’exception d’une ouverture partielle pour les journées du patrimoine 2013) à partir du 13 juin 2015. Les visiteurs pourront admirer à la fois l’extérieur du monument et sa silhouette très reconnaissable, et les nombreuses pièces intérieures, toutes restaurées dans leur état original à l’exception d’une seule, laissée comme un témoin du martyre subi.
Les leçons sont au nombre de deux :
1. Les moyens légaux existent, il faut les employer.
En 1985, la villa Cavrois était encore dans un état correct
même si le rez-de-chaussée avait été en partie réaménagé en deux appartements
distincts. L’essentiel des décors et du mobilier subsistait. La dégradation,
terrible, qui a amené l’édifice au bord de la ruine complète, est survenue en
très peu de temps. Surtout, la protection monument historique ne l’a pas
empêchée car l’État a temporisé. Il faut, bien sûr, replacer les événements
dans leur contexte : un XXe siècle dont les plus belles réalisations n’étaient
pas encore appréciées à leur juste valeur (le sont-elles aujourd’hui ?), un
environnement local hostile qui voyait d’un mauvais œil cette villa dont la
modernité n’avait jamais été comprise et des collectivités locales incapables
de s’entendre. Une tentative avortée d’expropriation eut même lieu, mais elle
échoua parce qu’un architecte en chef des monuments historiques avait, quelques
années plutôt, écrit à tort que le monument souffrait de défauts structurels
graves (l’ACMH en question exerce toujours ses talents…).
C’est l’existence d’une association de protection du
patrimoine, qui se battit jusqu’au bout pour la préservation de la villa, puis
son rachat par l’État en 2001, qui la sauva. Mais les dégâts étaient terribles
: le pillage fut organisé et totalement illégal puisque le monument avait été
classé d’office. L’État a donc joué son rôle, au delà même, en l’achetant, mais
un peu tard. Et les moyens très importants qu’il a dû engager pour ces travaux
auraient été bien plus modestes s’il s’était agi d’une simple restauration…
L’Association de Sauvegarde de la Villa Cavrois a répertorié un florilège des
déclarations officielles entre 1986 et 1999 sur cette page. Sa lecture est
édifiante et montre les atermoiements des différents politiques.
2. Dans certains cas, une reconstitution est souhaitable.
Nous dénonçons régulièrement dans ces colonnes les restitutions ridicules et
détestables que subissent de nombreux monuments historiques, au premier rang
desquels Versailles. Mais le cas de la Villa Cavrois était bien différent, et
la reconstitution d’éléments importants entièrement disparus y est une
excellente chose.
Le parti pris a consisté à recréer les éléments de décor
immeubles par nature : revêtement des murs (marbres, boiseries, peintures...),
meubles intégrés… Seul les meubles non fixés n’ont pas été reconstitués : ceux
d’origine qui ont pu être retrouvés et acquis ont été remis en place (ill. 3).
Dans de très rares cas, des meubles équivalents à ceux disparus ont été
ajoutés.
La justification de ces reconstitutions est triple :
- les éléments manquants sont parfaitement connus grâce à
une campagne photographique très complète effectuée avant la Seconde guerre
mondiale ; il n’y avait donc que très peu de place pour l’interprétation,
- le décor ne comprenait aucune peinture, aucune mosaïque,
aucune sculpture (à une exception près, nous en parlerons plus loin), mais
uniquement des éléments au dessin simple, apuré, d’une très grande qualité de
réalisation, mais qu’il était possible de refaire sans invention dénaturant
l’intention de l’architecte,
- l’intérieur de la maison, sans ce décor, n’avait plus
aucun intérêt, ni aucun sens.
Certes, une partie de ce décor n’est qu’un faux. Mais un
faux intelligent, bien loin par exemple de la grille de Versailles, invention
moderne et réalisation misérable qui s’insère dans un ensemble qui n’est plus
celui qui existait lors de la destruction de l’original. La restauration exige
à la fois du goût, et du bon sens. C’est cela qui a prévalu à la Villa Cavrois.
Nous parlions plus haut d’une exception. La salle à manger
des enfants (qui a retrouvé la table et les chaises originales), était ornée
d’une sculpture des frères Martel, que l’on voit sur les photos. Mais celles-ci
sont en noir et blanc, et le relief était coloré. L’administrateur du domaine,
Paul-Hervé Parsy, a donc choisi de commander à un artiste contemporain,
Jean-Sylvain Bieth, une reconstitution de l’œuvre, fidèle dans l’esprit à
l’original, mais en noir et blanc pour éviter une interprétation abusive (ill.
4). Le résultat est, il faut le dire, très séduisant. On aurait certes pu ne
rien mettre mais si cette réinterprétation, qui reste exceptionnelle,
fonctionne.
Le bâtiment a été étudié longuement et soigneusement pour
déterminer comment le restaurer au plus près de son état d’époque. Seul le
parquet d’origine a à peu près été conservé (90%). Quelques éléments subsistant
de placage en marbre des murs ont permis d’identifier les carrières et
d’utiliser les mêmes matériaux. Ainsi, la salle à manger des parents (ill. 5),
le coin feu du salon, le vestibule (ill. 6) et l’escalier d’honneur ont
retrouvé leur décor en marbre. Les couleurs utilisées pour peindre les murs
sont conformes à celles d’origine. Parmi les meubles intégrés, seuls les
éléments de l’office ont pu retrouver leur place : ils ont été offerts par
Robin Melvin Rubin.
Le jardin, dont une partie a hélas été lotie mais sans que
cela soit trop gênant car en fond de parcelle, a retrouvé également son aspect
voulu par l’architecte, notamment avec le bassin qui a été restitué (ill. 7).
Cette réouverture est accompagnée de trois publications.
Deux paraîtrons en juin, une est déjà disponible. Il s’agit d’une monographie
richement illustrée consacrée à Mallet-Stevens qui fait la part belle aux
illustrations, due à Richard Klein.
Nul doute que la Villa Cavrois devienne un des monuments les
plus visités de la région, d’autant qu’elle est desservie de Lille par une
ligne de tramway. Chacun pourra ainsi constater à quel point Mallet-Stevens
était un architecte génial.