« Certaines maisons des années 30 valent moins que leur
mobilier »
Article de Carole Papazian, le 14 janvier 2016, paru dans Le Figaro Immobilier
Interview - La villa Poiret de Mallet-Stevens a été
récemment vendue aux enchères. Delphine Aboulker, dont l’agence immobilière est
spécialisée dans ces biens très pointus, explique qui sont les acheteurs
potentiels et quels sont les prix.
Le Figaro Immobilier - La récente vente de la maison Poiret
au tribunal de grande instance de Versailles et son rachat par un promoteur
pour 2 millions d’euros vous a-t-elle étonnée ?
Delphine Aboulker - Pas vraiment. Une surenchère restait
possible, mais un budget de 2 millions d’euros pour une maison, ce n’est pas à
la portée de tout le monde. Le marché tourne encore au ralenti dans les
Yvelines. La maison qui a été vendue à Mézy-sur-Seine n’avait pas été achevée
par Mallet-Stevens, elle avait été terminée par un architecte différent. Elle
n’est pas classée, mais seulement inscrite à l’inventaire supplémentaire des
monuments historiques. Il faut comprendre que ces hôtels particuliers
construits au début du XXe siècle par Robert Mallet-Stevens, mais aussi celles
de le Corbusier sont des manifestes architecturaux, des laboratoires
d’expérimentation, ce sont d’abord des œuvres d’art.
L'atelier des frères Martell, rue Mallet-Stevens à Paris
Cela veut dire dans endroits pas toujours faciles à vivre.
Qui s’y intéresse ?
Il y a des amateurs pour les maisons d’architectes Art déco.
Nous les connaissons, ce sont généralement des couples passionnés
d’architecture, des esthètes qui ont envie d’habiter une œuvre d’art. Mais
quand les maisons sont classées ou inscrites, il faut être conscient que faire
des travaux coûte très cher. Les frais sont vraiment colossaux malgré les aides
du ministère de la culture, puisqu’il faut tout refaire à l’identique sous la
responsabilité d’un architecte des bâtiments de France ou des monuments
historiques. Certains amateurs passionnés n’ont pas toujours un comportement
d’achat et de vente rationnel: certains affirment ne pas discuter le prix, même
s’il est très élevé, et dépenser parfois bien plus que ce qu’ils comptaient
investir au départ. Pour les vendeurs, quitter leur maison est souvent un
déchirement. Certains disent qu’ils souhaitent choisir avec soin les acquéreurs
pour la vendre à quelqu’un qui la comprendrait. Pas au plus offrant mais au
plus aimant, disent-ils.
Atelier d'artiste d'Henri Sauvage dans le XVIe arrondissement de Paris
Les ventes sont nombreuses ?
Plus qu’avant. La montée en puissance de la cote des années
1930 a fait évoluer depuis ces dix dernières années le taux de rotation de ces
maisons qui était faible. Le style art déco est aujourd’hui reconnu en France
comme le plus coté du XXe siècle. La plupart des propriétaires de maisons
modernistes sont contactés par des sociétés de production de cinéma, qui
souhaitent louer les maisons pour y tourner des films ou des publicités. Cela
contribue à faire connaître ce style au grand public.
Que sont devenues les deux autres maisons majeures
construites par Mallet-Stevens pour des propriétaires privés ?
La villa de Noailles à Hyères a été rénovée et des
expositions sur l’histoire de l’art du XXe siècles y ont lieu, elle accueille
aussi des artistes en résidence. La maison Cavrois dans le Nord, qui avait été
bâtie pour un industriel textile du nord, est devenue un « château moderne » qui
se visite. Ces deux œuvres privées de Mallet-Stevens ont nécessité des travaux
très importants de remise en état qui ont été pris en charge par les pouvoirs
publics. La villa Cavrois a été réouverte au public seulement l’an dernier.
Vous avez récemment vendu des maisons art déco ?
Oui, mais pas en région parisienne. Architecture de
collection a par exemple vendu récemment à Angoulême un hôtel particulier de
590 m2 construit en 1934 et décoré par Eugène Printf (ci-dessous).«Ce qui est
frappant dans ce cas, c’est que le mobilier avait été vendu aux enchères par le
propriétaire précédent avant la maison. Et il valait davantage que la maison
elle-même», précise-t-elle. Il faut dire que les prix à Angoulême sont bien
loin de ceux de Paris. La maison a ainsi changé de propriétaire pour environ 1
million d’euros. Et c’est un compositeur japonais qui a acheté cet hôtel
particulier.
Maison décorée par Eugène Printf à Angoulême
Et à Paris ?
Nous avons vendu l’année dernière la villa Planeix de Le
Corbusier dans le XIIIe 2,3 millions d’euros. Elle appartenait à la famille
Planeix depuis sa construction en 1928. C’était une résidence atelier mythique.
Nous vendons régulièrement des appartements art déco. Le plus bel ensemble est
celui de la rue Mallet-Stevens dans le 16ème arrondissement qui réunit cinq
hôtels particuliers divisés en appartement dans une impasse privée. L’hôtel des
frères Martel au début de l’impasse est entièrement classé. Un appartement de
70 mètres carrés avec 50 mètres carrés de terrasse a été vendu il y a deux ans
en haut de l’immeuble pour 1,5 million d’euros.
Maison Planiex de Le Corbusier dans le XIIIe arrondissement de Paris